Quand la vague nous submerge…
Marina Blanchart, quelques jours après les attentats, réagit aux événements extrêmement violents de ces derniers jours qui génèrent, à juste titre, une vague émotionnelle immense...
Nous y réagissons chacun à notre manière. Certains sont envahis par la peur, ont envie de se protéger, de rester chez eux, là où ils se sentent en sécurité, d'autres sont en rage, ils seraient poussés à la haine, à rendre coup pour coup, ils y pensent sans arrêt, ruminent cette rage qui grandit encore, d'autres encore parlent et partagent, ils ont besoin de se sentir « humain » entourés d'autres humains, ils se tournent vers les réseaux sociaux, vers leurs proches, en discutent, partagent leur incompréhension ou encore cherchent des solutions, d'autres enfin sont envahis par une tristesse immense, par une incompréhension face à ce déchainement, un sentiment d'impuissance et de perte irrémédiable... et beaucoup passent d’une de ces émotions à une autre… et les médias nourrissent ces émotions volontairement ou non…
Nous sommes tous touchés de plus ou moins près, de plus ou moins loin et nous avons chacun notre manière d'en souffrir, d'y réagir et chacun, nous tentons comme nous pouvons de nous maintenir dans cette vie qui aujourd’hui nous malmène d'une manière violente...
J'avais envie d'écrire combien être mal aujourd'hui face à ce qui se passe est normal, combien nous sommes dans une position douloureuse, dans un mélange émotionnel, dans un mélange de pensées aussi, dans certains déchirements par rapport à nos valeurs de paix, alors que notre coeur peut aussi vouloir crier vengeance.
Quoi que vous ressentiez aujourd'hui, c'est probablement juste par rapport à votre histoire et la manière la moins douloureuse de traverser cette tourmente, de sortir indemne de cette vague émotionnelleest de la laisser nous porter en évitant de lutter, de la laisser nous emporter, comme nous l'avons peut-être déjà entendu pour les vagues de l'océan. La lutte renforce les risques de noyade, se laisser emporter et conduire par la vague nous donne plus de chance de survie…
En luttant, nous nous imposerons une double peine et la première est, je pense, déjà largement suffisante.
N'ajoutons pas la lutte contre nos émotions à la souffrance des émotions elles-mêmes...
Je suis un peu dérangée par les psychologues, associations de psy ou autres praticiens qui proposent aujourd'hui de manière proactive (voire mercantile) de l'aide aux personnes touchées de trop près ou choquées de plus loin par les évènements récents.
Les services de premières lignes ont mis en place ce qu’ils ont pu pour les personnes touchées de plein fouet et restent des relais probablement indispensables qui seront capables de renvoyer vers d’autres professionnels si besoin.
Mais, les messages au grand public qui proposent des aides pour vaincre le choc ou la souffrance risquent de passer en même temps le message sous-jacent qu'une aide est forcément nécessaire, ce qui génère inconsciemment un sentiment d’incapacité à gérer soi-même. Or, je pense que face aux pires horreurs, certains vont souffrir et se redresser sans nécessité d'une aide extérieure, je crois en les ressources de l'être humain pour traverser ses émotions... Faisons nous confiance et développons nos forces personnelles !
Je pense aussi qu'aucune aide extérieure ne peut éviter la souffrance face à un tel choc dans l'immédiat et qu'il faut d'abord prendre le temps de souffrir pour digérer, c'est probablement, pour beaucoup mais dans une mesure très variable, une étape indispensable ! Souffrir est malheureusement « normal » et fait partie de cette vie parfois si belle, parfois si dure… Vouloir ne pas ressentir les émotions désagréables que sont la peur, voire l’angoisse, la colère, voire la rage et la tristesse voire le désespoir, c’est normal, mais ne pas les ressentir aujourd’hui serait prendre le risque de les voir ressurgie en force demain…
Imaginez une attaque de terroristes et aucune réaction émotionnelle... Le monde serait vraiment malade ! La souffrance aujourd'hui est un signe de bonne santé pour ceux qui ont été touchés de près ou de moins près.
Par contre, il est évident qu'avec le temps, cette souffrance s'apaisera, la tristesse sera moins présente en parlant des événements, un deuil se fera, la colère se calmera et la peur deviendra vigilance ou prudence.
Si ce n'est pas le cas, une aide extérieure pourra être effectivement nécessaire pour celui qui se trouve incapable de reprendre sa vie « d’avant », pour l’enfant qui cauchemarde de manière excessive, pour l’ado incapable de prendre le métro sans trembler... mais aujourd'hui, soyons tolérants avec nous-mêmes, acceptons que la souffrance est là, tellement légitime, tellement humaine...
Et même si je ne pense en aucun cas que la souffrance est bonne de manière absolue, je pense au contraire que nous avons une mission de profiter des bons moments, de les multiplier autant que possible, mais quand l’émotion est là, il est capital d’apprendre à la traverser, de l’accepter, de lui donner une place, plutôt que de vouloir absolument l’éteindre et la supprimer… et surtout que nous avons le pouvoir, chacun, de mobiliser nos propres ressources, plutôt que de prendre une béquille qui nous empêcherait de nous muscler un peu plus.
En souhaitant quand même que la mer redevienne plus sereine et les vagues, toujours présentes, moins violentes afin de nous permettre de les apprécier pour la beauté et le relief qu’elle pose sur la mer…